Terencio González, l’œuvre ouverte
Les peintures de Terencio González se construisent autour de plusieurs dualités. A une discrétion apparente, qui accroche pourtant le regard avec ténacité, s’ajoute la liberté d’un geste accompagnant un processus soutenu d’élaboration qui interroge au final l’acte-même de peindre, pour affirmer d’autant plus la prégnance de ce médium.
Terencio González emploie un registre assez restreint de couleur où dominent les roses, oranges, jaunes, verts et bleus. Ses plages horizontales s’avèrent séduisantes et assez lisses, du caractère des œuvres qui, à priori, s’inscrivent dans une tradition esthétique. Elles semblent poursuivre la lignée d’une histoire de l’art américaine, et plus particulièrement du all over, au sein de laquelle on pourrait citer Mark Rothko, même si Terencio González préfère Willem de Kooning ou Richard Diebenkorn. D’ailleurs, ce dernier se situait aux frontières de la figuration et de l’abstraction, entre une certaine recherche de la signification, face au plaisir de ne s’exprimer que par les couleurs. On l’a rapproché d’Henri Matisse, qui est une autre figure classique ayant été importante dans la formation de Terencio González. Mais là où le lien avec le continent américain est plus pertinent est lorsqu’on en poursuit sa géographie. Car c’est en Argentine, l’autre pays de sa double nationalité, que l’artiste va récupérer chez des imprimeurs des fonds d’affiches destinés à recueillir des slogans politiques, informer des concerts à venir ou augurant des fêtes, mais qui sont ici dénuées des écritures à venir. Pourtant dépossédées de leur messages, elles peuvent encore évoquer le muralisme mexicain, dont ses principaux protagonistes, Diego Rivera et José Clemente Orozco, se sont imposés suite à la révolution mexicaine de 1910.
Dans une sorte de distanciation, face à sa propre histoire tout en l’incorporant, Terencio González agit de même avec le médium pictural, choisissant volontairement l’acte d’un autre comme premier support de son œuvre. Il revendique ne pas faire de choix. Une fois ces affiches collectées, il procède à un travail de composition et de transformation, sur une peinture industrielle. Il n’emploie que des matériaux liés à l’idée du mur et du chantier et finit par mêler la spontanéité d’un trait final au spray, à un processus très ritualisé. Parce qu’il sort de l’atelier, parce qu’il s’est inventé une source, parce qu’il va à la rencontre d’artisans, Terencio González poursuit sa recherche autour d’un médium omniprésent dans son œuvre. Comme s’il s’en éloignait, il ne fait qu’affirmer la force de la peinture. Sans vouloir le dire avec une insistance vulgaire, il appuie son attention au monde. Il saupoudre. Il sautille presque, à la manière de la légèreté avec laquelle il dispose sa dernière touche. Face à cette œuvre qui ne signifie rien, il permet au spectateur d’y apposer sa propre histoire. Il en bannît sa passivité et l’introduit au cœur de sa toile, comme l’avait si bien rédigé Umberto Ecco, dans son livre L’œuvre ouverte, paru en 1962.
Marie Maertens
Février 2018