par Françoise Docquiert, commissaire de l’exposition individuelle ‘Luminaria’ à la Sorbonne Art Gallery, Paris, 2018
Peux-tu d’abord te présenter ?
Je m’appelle Terencio González, je suis un artiste peintre de 30 ans, vivant à Paris.
Quelle a été ta formation ? Où as-tu étudié ? Quels ont été tes premiers pas dans la recherche d’un medium ? Tes origines d’Amérique Latine ont-elles une incidence sur ton travail ?
Je suis entré à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris à 25 ans pour y étudier trois ans. Je faisais partie de l’atelier de Jean-Michel Alberola. J’ai été très jeune touché par les interventions urbaines (graffiti, collages divers…) et les jeux de lumière dans les rues de Paris.
J’ai aussi, en effet, beaucoup puisé dans mes racines d’Amérique Latine et d’Espagne, peut-être particulièrement au sujet du jeu des couleurs, de la légèreté et de la clarté. Dans la recherche d’un medium, j’ai essayé de nombreuses pratiques (interventions dans les rues, peinture à l’huile, photographie, impression, vidéo…) avant de tout synthétiser dans le travail que je développe aujourd’hui.
Qui regardes-tu ? Quels artistes et dans quels domaines : littérature, musique, cinéma, théâtre ? Ecoutes-tu de la musique en travaillant et laquelle ?
Je suis très curieux et ouvert mais il est vrai que je regarde principalement des peintres et des photographes : Picasso, Bonnard, Willem de Kooning, Richard Diebenkorn, Franz Kline, Francis Alÿs, Stephen Shore, Rinko Kawauchi, Christopher Wool, Wade Guyton…
J’aime lire et je vais régulièrement au cinéma avec une préférence pour les films d’auteurs et les documentaires.
Je regarde Jean Rouch, les premiers films de Larry Clark et j’apprécie le réalisateur Charles Burnett, encore peu connu en France et dont les travaux les plus significatifs décrivent la vie de Noirs Américains de la classe moyenne urbaine, Je me dis parfois que la peinture est une toile fixe autour de laquelle on tourne, alors que le cinéma est une toile mobile face à laquelle on reste fixe.
J’aime écouter de la musique lors de certaines étapes de mon travail. Le style musical, très éclectique, dépendra davantage de mon humeur.
Comment définirais-tu ta manière de travailler ? Peux-tu nous parler de l’élaboration d’une toile ? Quel est ton rapport à la matière brute ? et de quelles textures te sers tu : peinture à l’huile, acrylique, bombes ?
Ma manière de travailler est avant tout intuitive. Pour point de départ, je débute avec une piste et je vois ensuite où cela me mène, les résultats pouvant grandement varier.
Je suis très attaché à la matière brute (toile de lin, etc.) que j’aime transformer manuellement. Je me sers principalement de peinture acrylique murale, de bombes et de fonds d’affiches que je me procure en Argentine.
Comment l’idée de l’utilisation d’affiches de rue t’est venue ?
J’ai découvert ces affiches en me promenant dans les rues de Buenos Aires où j’ai de la famille. C’est un mode de diffusion très bon marché pour annoncer des initiatives alternatives. J’ai tout de suite été très attiré par le mélange de couleur puissant, leur force symbolique et la technique de réalisation rudimentaire et artisanale.
Au départ, j’en commandais chez des imprimeurs avec des textes que je pouvais coller dans les rues de Paris par exemple. J’en suis venu, par la suite, à ne m’intéresser qu’au fond fait d’un dégradé de couleurs. Cela est plus poétique et libre d’interprétation à mes yeux.
Penses-tu cependant te rapprocher d’un art conceptuel ou de l’abstraction ? L’utilisation des couleurs primaires est-elle une sorte de parti pris ?
Je pense puiser à la fois dans un art conceptuel et dans une forme d’abstraction. Je regarde beaucoup de peintres abstraits et suis attaché à l’idée de ne me servir que de matériaux liés au milieu urbain.
L’utilisation des couleurs primaires n’est pas, consciemment, un parti pris : cet aspect du travail est particulièrement intuitif.
Quand pour toi une toile est-elle terminée ? Et une série ?
Une toile est finie quand, après l’avoir regardée attentivement à différentes reprises (tout en essayant de l’oublier entre chaque moment), il me semble que je n’ai plus rien à ajouter, qu’elle fonctionne parfaitement.
En ce qui concerne les séries par contre, il me semble difficile de me dire qu’elles peuvent être finies : je ne souhaite pas m’interdire d’ajouter une nouvelle pièce, même beaucoup plus tard, si cela me semble pertinent.
Ton récent voyage en Argentine t’a-t-il permis de conforter ta pratique ? Ton travail a-t-il besoin de se confronter au réel ?
Mon récent voyage en Argentine m’a permis de renforcer ma pratique, en effet. J’ai pu saisir avec plus de précision d’où venaient certains aspects que l’on trouve dans mon travail plastique. Cela me donne également envie d’aller plus loin et d’explorer davantage encore certaines pistes. Rencontrer de nouveaux imprimeurs a été aussi très bénéfique. Outre le fait de découvrir de superbes ateliers et des personnes très intéressantes, cela ouvre aussi de nouvelles voies dans mon processus créatif. Je ne saurais dire avec exactitude si mon travail a besoin de se confronter au réel.
Ce que je sais, c’est qu’il m’est très enrichissant de me promener, sans but précis, dans les rues des villes que j’affectionne. Des sortes de randonnées urbaines qui nourrissent mon travail et m’ouvrent aussi parfois sur d’autres voies…
Penses-tu qu’un artiste doit être de plain-pied dans la vie de la cité ? Quelles émotions souhaites-tu faire passer ?
Je ne pense pas forcément qu’un artiste doit être obligatoirement en relation avec la vie de la cité. C’est à chacun d’avoir sa position. J’apprécie néanmoins un équilibre entre la richesse de possibilités qu’offre la ville, la visite de milieux naturels et le rendu qu’en fait chaque artiste à sa manière.
Il me semble que les émotions que je souhaite transmettre dépendent à chaque fois de la pièce en question mais peut-être qu’une joie, un bonheur simple et éclairé sous-tend l’ensemble de mon travail.
Comment vois-tu ton évolution plastique ?
J’ai encore beaucoup à faire et à chercher à travers les pistes que j’ai ouvertes. Je m’imagine pousser davantage l’approche que j’ai avec les affiches tout en les laissant par moment de côté. Le travail vidéo est quelque chose que je souhaite également approfondir dans un futur proche. J’ai hâte de prendre part à des projets en association avec d’autres artistes.